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Stratégie des constructeurs et décarbonation : vers plus de solutions « clés en mains »

Affaires - Transport
07/04/2023
Appel à projets pour faciliter l’acquisition de véhicules électriques (1), feuille de route décarbonation, nouvelle stratégie : Christophe Martin, DG de Renault Trucks France, décrypte la politique du constructeur à l’horizon 2030. Il plébiscite l’électromobilité et la massification des flux pour la logistique urbaine.
Bulletin des transports : Un nouvel appel à projets, doté d’un budget de 100 M€ pour l’acquisition de camions et autocars électriques et l’installation de bornes de recharge, est annoncé par le gouvernement. C’est une bonne séquence ?
Christophe Martin : Nous avons indéniablement un rôle clé à jouer dans un contexte de dérèglement climatique. Le constructeur est source de problèmes, il lui appartient d’être source de la solution. L’idée n’est pas de considérer la décarbonation comme quelque chose en plus mais d’en faire un axe stratégique de responsabilité.

BTL : Pour autant, les véhicules thermiques sont encore majoritaires dans les ventes du groupe ?
C. M. : Nous gérons encore un business assez traditionnel de ventes de camions diesel avec réparation et pièces de rechange. En même temps, il faut à tout prix travailler sur l’électromobilité, la circularité et repenser les flux de la logistique urbaine : le développement de l’e-commerce et la livraison du dernier kilomètre vont avoir un impact majeur sur le transport et l’accès aux villes.

BTL : Justement, quelle est votre feuille de route ?
C. M. : Elle est simple : les solutions que nous voulons offrir sont moins carbonées. Nous continuons à vendre des camions diesel, lesquels consomment moins de CO2. Avec le biocarburant B100, nous avons une solution de transition qui permet de décarboner environ 60 % de CO2. Par ailleurs, nous croyons beaucoup à l’électrique, soit avec les batteries, soit avec l’hydrogène et la  pile à combustible. C’est une solution stratégique.  En 2040, nous ne vendrons plus de camions à énergie fossile. En 2030, un camion vendu sur deux sera électrique. Aujourd’hui, l’électrique représente à peine 2 à 3 % des ventes de Renault Trucks. Le challenge consiste à faire bouger tout l’écosystème. En conséquence, nous vendrons de plus en plus de solutions  « clés en mains » avec les infrastructures de recharge, le financement, l’assurance, la mise à la route, le conseil à l’exploitation.

BTL : C’est dans cet esprit que vous livrez 23 porteurs électriques à Kuehne + Nagel France ?
C. M. : C’est formidable d’accompagner un opérateur suisse qui décide d’acquérir 23 porteurs électriques Renault Trucks E-Tech D de 16 t (2) ! Si un gros « player », leader d’opinion, peut donner une impulsion à la décarbonation, cela nous aide, comme XPO Logistics, Jacky Perrenot, Geodis ou DB Schenker qui se tournent aussi vers l’électrique. Notre mission était de  vendre des camions qui avaient un bon coût d’exploitation, de la disponibilité et qui plaisaient aux conducteurs. Désormais, on y ajoute une quatrième dimension pour accompagner transporteurs et chargeurs dans la décarbonation, car ils ont aussi pris des engagements.

BTL : Quelles sont vos attentes quant aux travaux de la feuille de route décarbonation, dont les conclusions seront remises à Clément Beaune ?
C. M. : J’ai eu la chance de participer à la convention citoyenne sur le climat. J’ai pu mesurer la magnitude et  l’urgence de la situation. À quoi sert une part de marché dans un monde qui meurt ? Ce qui est devant nous nous dépasse.
Certes, le coût du transport décarboné est plus élevé. Les  coûts logistiques d’un produit dans un hypermarché sont de l’ordre de 8 %. Le coût total d’acquisition (TCO) d’un véhicule électrique est 15 à 20 % supérieur à celui d’un diesel. En année pleine, l’électrique représente 5 % de notre volume de commandes sur 15 000 véhicules lourds vendus chaque année par Renault Trucks. Sur certains segments nous atteignons la parité sur le coût total d’acquisition (TCO) entre le diesel et l’électrique ; pour d’autres, nous sommes à +15 % de TCO.
Le seuil psychologique de +15 % du prix semble acceptable pour un client mais sans aucune aide de l’État, ce prix est rédhibitoire.  Si la bascule vers l’électrique doit se faire, il faut absolument que cela suive au niveau des infrastructures de recharge. Cela implique d’aller vers l’intermodalité et de repenser la logistique urbaine avec un meilleur remplissage des camions et une massification des flux.

BTL : Avez-vous l’oreille des pouvoirs publics dans cette ardente obligation ?
C. M. : Je note l’oreille bienveillante des ministres Clément Beaune et Roland Lescure. L’Union européenne doit se mobiliser, d’ailleurs je trouve que la dernière mesure prise sur la norme Euro 7 est navrante. Tous les efforts que l’on fait pour investir auront un impact très marginal, c’est dommage ! Tous ces investissements auraient dû être réorientés vers l’électromobilité !

(1) Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie, et Clément Beaune, ministre délégué chargé des Transports, ont fait cette annonce lors de l’inauguration de la Semaine internationale de la Logistique et du Transport (SITL). Cet appel à projets, dont le cahier des charges sera publié très prochainement, bénéficiera d’une enveloppe de 60 M€, dont 55 M€ pour les camions électriques et 5 M€ pour les autocars électriques. Il vise à faciliter l’acquisition de plus de 500 PL électriques.
(2) Le groupe suisse souhaite « verdir » 60 %  de sa flotte d’ici à 2030 et compte un millier de véhicules en France. Les 23 porteurs électriques livrés par Renault Trucks disposent d’une capacité de chargement de 18 ou 21 palettes et bénéficient de cinq packs de batteries de 66 kWh pour une autonomie de 235 km en une seule charge.

Propos recueillis par Louis Guarino